Mercredi
1 JUN 2022
19 h 45 – 21 h 15
Salle de musique / avenue Léopold-Robert 27, La Chaux-de-Fonds
Jean Rondeau clavecin
Thomas Dunford luth
Dialogue sur le lever et le coucher du Roi
Le règne de Louis XIV (de 1661 à 1715) fut particulièrement riche sur le plan artistique. Grand amateur d’art en général, et de musique en particulier, le roi chantait, jouait de la guitare et avait un goût fort prononcé pour la danse. La musique était omniprésente à la cour et accompagnait aussi bien les moments exceptionnels que les rituels quotidiens. Du Grand Lever au Souper et au Coucher, le cérémonial rigoureux qui rythmait la vie du monarque a suscité des pièces d’acteurs majeurs de la vie musicale du long règne de Louis XIV.
Robert De Visée (v. 1650-1665 – après 1732)
Suite en ré mineur (luth et clavecin)
Marin Marais (1656-1728)
Les Voix humaines, Lentement (de la Suite n°3, Second livre de pièce de viole, luth)
François Couperin (1668-1733)
Premier Prélude en do majeur (de L’Art de toucher le clavecin)
La Ménetou, Le Dodo ou l’amour au berceau, La Ténébreuse, La Favorite (luth et clavecin)
Jean-Henry D’Anglebert (1629-1691)
Prélude (de la Suite en ré mineur, clavecin)
Sarabande Grave (luth et clavecin)
Antoine Forqueray (père, 1672-1745)
Jean-Baptiste Antoine Forqueray (fils, 1699-1745)
La Portugaise
La Sylva
Jupiter
(Luth et clavecin)
Au début de l’époque baroque, les compositeurs français de musique instrumentale soliste vont créer un langage qui inspirera bon nombre de compositeurs du reste de l’Europe. Au 17ème siècle, le luth trouve sa terre d’élection en France : si les premiers livres de pièces de luth contiennent avant tout des transcriptions d’œuvres vocales, les recueils plus tardifs proposent un répertoire totalement instrumental. Des luthistes virtuoses tels que Denis Gaultier vont considérablement développer le langage propre au luth : écriture polyphonique libre, ornements complexes et style brisé (l’arpège).
Peu à peu, la guitare se retrouve sur le devant de la scène (en témoignent les peintures de Watteau, où courtisans et bergers préfèrent la guitare au luth). Un musicien va susciter l’engouement de la cour pour cet instrument, certes moins noble, mais néanmoins plus simple sur le plan technique : il s’agit de Robert de Visée, compositeur, multi-instrumentiste et professeur de guitare du roy. Souvent requis pour instruire ou divertir quelquefois Monseigneur le Dauphin (le futur Louis XV), Robert de Visée se tient également au chevet du monarque, le soir, pour lui jouer de la guitare. L’œuvre que nous entendrons ici est la Suite en ré mineur : il s’agit d’une suite de danses où sont explorés les contrastes entre chacun des mouvements avec un principe unificateur, la tonalité unique. À cette époque, la danse domine la musique française. Pour le musicien, la connoissance de l’art de la danse est d’un grand secours pour mieux connoître le vray mouvement de chaque pièce et conserver le mouvement de la mesure. Robert de Visée prendra souvent part aux fastueuses soirées de Mme de Maintenon, où il aura pour partenaires notamment Couperin, Rebel et Forqueray.
Antoine Forqueray, gambiste hors pair, a composé de nombreuses pièces pour la viole. S’estimant seul capable de les interpréter, il s’opposa toute sa vie à leur publication. C’est son fils, Jean-Baptiste, lui aussi excellent gambiste, qui publiera les œuvres de son père pour viole de gambe ainsi que ces mêmes pièces transcrites pour le clavecin (où il s’attelle à conserver la tessiture grave propre à la viole). En ce temps-là, la plupart des œuvres sont en mouvement : lorsqu’un compositeur écrit une pièce, lui-même ou d’autres musiciens la transposent et l’adaptent à des types d’instrumentations différents. C’est au clavecin que seront interprétées La Portugaise, La Sylva, La Jupiter : des pièces caractérisées par une grande théâtralité et une formidable puissance sonore.
On peut dire que personne n’a surpassé Marais, un seul homme l’a égalé, le fameux Forqueray. En disant que l’un jouait comme un dieu et l’autre comme un diable, le monarque lui-même semble s’être amusé à orchestrer la rivalité opposant Marais à Forqueray. Marin Marais, compositeur et interprète extrêmement talentueux et prolifique, a porté l’art de la viole à un très haut degré de perfection. Entre 1686 et 1725, il publia cinq volumes de pièces de viole, dont est extraite Les Voix Humaines, œuvre d’une grande sensualité. Comme la plupart des compositeurs de son temps, Marais puisait son inspiration dans des sources littéraires, plus précisément théâtrales (Molière et Racine) et s’inspirait du langage de la tragédie lyrique dont Jean-Baptiste Lully est le plus illustre représentant (l’incontournable Monsieur de Lully, qui figure sur la plupart des dédicaces des œuvres entendues ce soir).
L’héritage musical de Gaultier survit dans la musique de clavecin. C’est en Jacques Champion de Chambonnières que l’école française de clavecin trouve son premier grand représentant : claveciniste à la cour de France, son influence est considérable, plus particulièrement sur Louis Couperin (oncle de François) et Jean-Henri d’Anglebert (qui reprend sa charge comme ordinaire de la Musique de la Chambre du roi pour le clavecin). En 1689, ce dernier publie ses Pièces de clavecin, unique ouvrage dans lequel il ajoute, aux suites de danses de sa composition, des transcriptions d’œuvres de Lully. En France, ce livre est le premier ouvrage imprimé qui comporte une table des ornements indiquant la manière de les exécuter. Nous découvrirons le Prélude en ré mineur et la Sarabande Grave.
Surnommé « le Grand » en raison de sa maîtrise exceptionnelle de l’orgue et maître incontesté du clavecin, François Couperin succède à Jean-Henri d’Anglebert comme ordinaire de la musique à la cour et occupe également la charge d’organiste à la Chapelle Royale. Connu de nos jours notamment pour ses bouleversantes Leçons de ténèbres, il a publié un traité de référence, L’art de toucher le clavecin, qui instruit l’interprète sur le beau Toucher du Clavecin et le goût qui convient à cet instrument. Ses pièces mutines, sensuelles, aux titres poétiques et malicieux, sont autant de petits portraits, paysages, rapprochant Couperin du fabuliste La Fontaine ou du peintre Watteau.
Au cours de cette royale soirée, Jean Rondeau et Thomas Dunford, deux alchimistes férus d’expérimentations, revisiteront le subtil et sublime baroque français de cette période riche en contrastes, où la musique est tout à la fois raffinée, flamboyante, théâtrale et poétique. Le Roi est mort ! Vive la musique !
Commentaire : Céline Hänni, Centre de culture ABC
Vendredi
5 JUN 2020
Reporté en raison de la crise du Coronavirus.
Duo Jumel
Julia Pertuy & Mélanie Pauli
« Des tiroirs vides à remplir, des regards et des bruits qui se baladent, deux silhouettes à l’étroit. Jumel c’est le fil tendu entre le cirque et la musique basée sur des compositions et sur l’improvisation ».
Durée 20mn. Tout public – Tout terrain…
Kaléidoscope se raconte. Deux voix, deux corps et un violoncelle qui s’animent. Des tiroirs vides à remplir, des regards et des bruits qui se baladent, une culotte qui gratte, un peu de poussière comme ça… Deux silhouettes à l’étroit. Jumel, c’est le fil tendu entre le cirque et la musique. Musique : compositions & improvisations.
La voix et le corps sont des instruments intuitifs. La voix nous sert autant qu’elle nous dévoile. Elle nous permet de traduire nos états intérieurs, souligne nos contradictions, nos euphories et notre personnalité toute entière. Elle résonne dans la matière du corps qui reçoit toutes les vibrations extérieures et se connecte à l’environnement. Toujours en mouvement, il peut libérer son souffle sur lequel viendra se déposer le son.
Jumel s’engage et propose. A travers l’image on se reconnait dans l’autre. Dans notre travail artistique, elle est très présente. Nous aimons jouer à nous dédoubler en Jumel, à nous décupler en Kaléidoscope, à nous réunir en une seule bête, une bête munie de 8 membres inégaux… Et tout cela avant de s’y mettre à plusieurs pour tout reprendre dans le désordre !
20 h 30
Salle de musique / avenue Léopold-Robert 27, La Chaux-de-Fonds
Diana Tishchenko, violon
Zoltán Fejérvári, piano
Ravel
Sonate
Enescu
Sonate n° 3
« dans le caractère populaire roumain » op.25
Ysaÿe
Sonate pour violon seul n°3
« Ballade » op. 27 n°3
Prokofiev
Sonate nº 1 op. 80
Actualité discographique chez Erato-Warner
Imaginez la scène, Ravel heurte à la porte d’Enescu occupé à donner une leçon de violon au jeune Menuhin, 12 ans. Ravel souhaite entendre sa sonate dans la réalité. Enescu s’exécute avec plaisir et, le compositeur au piano, déchiffre l’œuvre à vue. Arrivé à la fin Enescu propose de la jouer une seconde fois. Il laisse la partition et interprète l’œuvre par cœur ! Qui dit mieux ?
« Il faut toujours garder à l’esprit l’idée que la sensibilité et l’émotion constituent le contenu véritable d’une œuvre d’art… La découverte inattendue et l’étonnement sont une partie essentielle de la beauté. »
Maurice Ravel
La fameuse sonate en sol majeur de Ravel, est la dernière œuvre de musique de chambre du compositeur. Élaborée entre 1922 et 1927, elle est dédiée à la violoniste Hélène Jourdan-Morhange, et fut créée par Ravel en personne au piano, avec Georges Enesco au violon, le 30 mai 1927. On y retrouve l’influence des grands maîtres, mais également celle du jazz et du blues si cher à Georges Gershwin, avec qui Ravel fréquenta les night-clubs enfumés d’Harlem — véritable berceau du jazz à New-York.
Il est intéressant de noter que Ravel influencera le langage harmonique du pianiste américain de jazz Bill Evans, considéré comme l’un des plus grands de sa génération. Herbie Hancock autre pianiste émérite de jazz, interprétera le blues de la sonate en sol majeur lors de concerts.
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La Sonate « dans le caractère populaire roumain », pour piano et violon, en la mineur op. 25, est la dernière des trois sonates pour ce duo instrumental de Georges Enesco, composée en 1926. Il s’agit d’un des chefs-d’œuvre emblématiques du musicien, à mettre au même niveau que les sonates pour violon et piano de Béla Bartók, qu’elle surclasse d’ailleurs en lyrisme comme en naturel. Ses deux premières sonates étaient des compositions de jeunesse écrites en 1897 et 1899, soit plus de vingt-cinq ans avant sa troisième. Celle-ci est dédiée à Franz Kneisel, musicien né à Bucarest, flûtiste, clarinettiste, trompettiste et violoniste !
Comme l’indique son titre, bien que fortement inspirée du folklore roumain, cette sonate n’en est nullement une transcription mais une réinvention de l’intérieur. La démarche du musicien est donc différente de celle de l’écriture de ses Rhapsodies roumaines, qui étaient aussi de relative jeunesse.
Enesco emploie plusieurs caractéristiques « locales » dans sa partition : gamme chromatique, hétérophonie (léger décalage temporel des voix sans qu’on puisse réellement parler de canon), l’emploi privilégié de certains intervalles, l’utilisation de quarts de tons, etc. Il insiste sur le choix du terme « caractère » plutôt que « style » dans le titre de la sonate, soulignant par là son authenticité. La partition est extrêmement riche d’annotations pour le jeu du violoniste (coups d’archet, vibrato…), ce qui a fait affirmer à au grand violoniste Yehudi Menuhin que « jouer la partition, c’est interpréter l’œuvre » ; l’ensemble laisse cependant une impression d’improvisation tout à fait à la manière « tzigane » (que l’on retrouve aussi dans le Caprice roumain pour violon et orchestre du même compositeur), sous-tendue par une écriture complexe.
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Les six Sonates pour violon solo op. 27 d’Eugène Ysaÿe, sont écrites en Juillet 1923. Chaque sonate a été consacrée à l’un des violonistes contemporains d’Ysaÿe : Joseph Szigeti (n°1), Jacques Thibaud (n°2), George Enescu (n°3), Fritz Kreisler (n°4), Mathieu Crickboom (n°5), et Manuel Quiroga (n°6).
C’est après avoir entendu Joseph Szigeti jouer la sonate de J.S. Bach pour violon seul en sol mineur que Ysaye a été inspiré pour composer son œuvre pour violon seul, qui concentre l’évolution des techniques et des expressions musicales de son temps. Comme Ysaÿe a affirmé : «J’ai joué tout, de Bach à Debussy, l’art véritable doit être international». Dans cette série de sonates, il a utilisé des caractéristiques importantes de la musique du début du 20e siècle, comme les gammes en tons entiers, les dissonances et les quarts de tons. Ysaÿe emploie également la virtuosité de l’archet et la technique extrêmement sophistiquée de la main gauche, car il pensait que « à présent la maîtrise de violon, l’expression et les techniques sont indispensables si la volonté est de s’exprimer sans retenue ». Ainsi, cet ensemble de sonates est d’une exigence technique extrême pour les interprètes. Pourtant, Ysaye avertit les violonistes qu’ils ne doivent jamais oublier de chanter au lieu de devenir préoccupé par les éléments techniques car un vrai maître du violon « doit être un violoniste, un penseur, un poète, un être humain, il faut avoir connu l’espoir, l’amour, la passion et le désespoir, toute la gamme des émotions pour pouvoir s’exprimer à travers son jeu. »
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Dans les années 1930, Prokofiev, qui souffrait d’un profond mal du pays, fut courtisé pour rentrer en Russie (devenue l’URSS de Staline) : on lui promit officiellement qu’il jouirait de privilèges, comme le fait d’être autorisé à effectuer régulièrement des tournées à l’Ouest, mais aussi qu’il jouerait un rôle majeur dans la reconstruction de la musique russe, ravagée par la révolution culturelle à la fin des années 1920. Il s’installera finalement à Moscou en 1936, avec sa femme et leurs deux jeunes fils.
Moins d’un an plus tard, Staline déclencha sa « Grande Terreur », avec à la clef plusieurs millions d’arrestations par le NKVD (la police secrète), l’une des plus célèbres ayant été celle de Marshal Mikhaíl Tukhachevski, le mécène de Chostakovitch. Plusieurs collègues de Prokofiev furent également raflés. Le 20 avril 1937, Vladimir Mutnykh, directeur général du Bolchoï et commanditaire de Roméo et Juliette, fut arrêté. Adrian Piotrovski, co-librettiste du même ballet, suivit le 10 juillet 1937. Nataliya Sats, qui avait commandé Pierre et le loup et en avait assuré la narration avec succès, fut arrêtée le 21 août. Nikolaï Zhilyayev, compositeur, érudit et indéfectible défenseur de l’œuvre de Prokofiev, fut arrêté le 3 novembre. Hormis Nataliya Sats (qui, passé quelque temps dans un camp de travail, fut relâchée en 1942, même si elle ne fut autorisée à rentrer à Moscou qu’en 1958, cinq ans après la mort de Prokofiev), on ne les revit jamais : on sait aujourd’hui qu’ils furent tous fusillés quelques mois seulement après leur arrestation.
Ce fut dans ce contexte extrêmement troublé que Prokofiev aborda sa Sonate pour violon en fa mineur op. 80, en 1938. Fait révélateur—et contrairement à Roméo et Juliette et au Concerto pour violon nº 2—, cette sonate ne présente aucun thème antérieur au retour de Prokofiev en Union soviétique : on sent qu’il tira plutôt son inspiration des très sombres puits de peur, de désespoir et de deuil qui furent son lot et celui de ses contemporains sous la Grande Terreur stalinienne. Cherchant peut-être à prendre ses distances par rapport au traumatisme symbolisé par la noirceur exceptionnelle de cette Sonate, il fit originellement le choix d’un premier mouvement respectant une stricte alternance métrique (3/4 et 4/4).
Une fois cette version du premier mouvement achevée et le deuxième mouvement en grande partie rédigé, Prokofiev mit de côté sa Sonate pour écrire la musique d’Alexandre Nevski, le film d’Eisenstein. Il attendit 1943 pour s’y remettre—la Seconde guerre mondiale, mais aussi d’autres projets l’avaient de nouveau interrompu—, avouant alors à son ami Nikolaï Miaskovski qu’il la trouvait « difficile »; et il la délaissa derechef pour composer sa Symphonie nº 5. Avant de la reprendre pour de bon, il acheva sa Sonate pour violon nº 2 et ré majeur (1944). Travailler à cette seconde sonate, qui est pour l’essentiel une transcription de sa Sonate pour flûte op. 94 (composée en 1943) entreprise avec l’aide de David Oïstrakh, semble l’avoir incité à terminer sa Sonate en fa mineur.
Oïstrakh s’était lié d’amitié avec Prokofiev au milieu des années 1930, alors qu’il vivait dans le même immeuble que lui, rue Chkalov, et partageait sa passion des échecs. Selon Sviatoslav, le fils aîné de Prokofiev, Oïstrakh vint chez eux pour jouer à titre d’essai des sections de la Sonate en fa mineur. Ce devait être à la fin des années 1930 car, le 15 mars 1941, Prokofiev quitta sa famille, et donc l’appartement, pour aller vivre avec Mira Mendelson, une jeune littératrice. Si Sviatoslav, âgé de dix-sept ans au départ de son père, ne se trompe pas, si c’est bien la Sonate pour violon et non le Concerto pour violon nº1 (exécuté par Oïstrakh sous la baguette de Prokofiev le 22 octobre 1939) que les deux hommes jouèrent, cela signifie que Oïstrakh fut extrêmement impliqué dans cette Sonate dès le début de sa conception et non—comme on le suppose généralement—à partir de 1943.
Pourtant, et même s’il la dédia finalement à David Oïstrakh, Prokofiev composa manifestement cette sonate pour apaiser un traumatisme secret. Oïstrakh se rappela que, lors des répétitions, Prokofiev lui dit que les impétueux passages en gammes des premier et dernier mouvements devaient sonner « comme le vent dans un cimetière ». Et Oïstrakh d’ajouter : « Après une telle remarque, tout l’esprit de la sonate revêtit pour nous une importance plus profonde. »
Car, chose apparemment tout sauf anodine, Prokofiev, lorsqu’il reprit sa sonate en 1943, inclut dans ses révisions du premier mouvement ces passages en gammes impétueux, marqués freddo et jusqu’alors absents de l’œuvre. En parlant de ces gammes, Prokofiev semble également avoir voulu faire référence à la célèbre manière dont Anton Rubinstein dépeignit le finale de la Sonate pour piano en si bémol mineur de Chopin : « un vent du soir qui souffle sur les tombes d’un cimetière ». Cependant, et contrairement au chromatisme angoissé de Chopin, les gammes impétueuses de Prokofiev paraissent sereines, comme si elles formaient un havre loin du style tourmenté, parfois brutal, du reste de la sonate. Prokofiev ignorait probablement le sort de ses collègues arrêtés en 1937 (et les noms que nous avons cités sont seulement ceux dont nous avons connaissance), mais la Sonate en fa mineur sur laquelle il peina si longtemps fut certainement voulue comme un mémorial voilé mais aimant à tous ceux qui, à l’instar de plusieurs de ses confrères, avaient été effacés de l’histoire stalinienne officielle. Vers la dernière année de sa vie, il dressa une liste annotée de ses compositions: en inscrivant sa Sonate en fa mineur, il développa d’ailleurs la description de Rubinstein et évoqua «un cimetière abandonné», signe qu’il songeait à des morts bien antérieurs aux évidentes victimes de la guerre—il acheva cette œuvre à l’été de 1946.
Mardi
7 JUL 2020,
19h45
Concert initialement prévu le 9 mai 2020.
19 h 45 – 21 h 45
Salle de musique / avenue Léopold-Robert 27, La Chaux-de-Fonds
Quatuor Arod
Jordan Victoria, violon
Alexandre Vu, violon
Tanguy Parisot, alto
Samy Rachid, violoncelle
« Va-t’en – Ah va-t’en loin de moi squelette cruel je suis encore jeune, laisse-moi ne me touches pas, chère mort. Donne-moi ta main, toi belle et tendre je viens en ami non pour te punir. Sois courageuse, je ne suis pas cruelle. Tu dormiras apaisée dans mes bras. »
Schubert
Quatuor n°4 en do majeur
Schubert
Quatuor n°12 en do mineur D 703
Schubert
La Jeune Fille et la Mort
Quatuor n°14 en ré mineur D 810
Vouloir comprendre Schubert, son lyrisme si particulier, mélange de candeur et de visions sombres, c’est commencer par s’immerger dans son univers matriciel : le lied romantique. Schubert donnera ce conseil : « A écouter en hiver, mais dans mes lieder, le printemps avec toutes ses fleurs est déjà présent ».
Cette dualité entre cendres et braises imprègne le monde poétique dans lequel Schubert vivait sa vraie vie. Au travers des textes populaires, mais surtout de poèmes de petits poètes (car à part Heine, et si peu Goethe, les grands poètes ont toujours rendu impuissants les musiciens), Schubert vit par procuration des vies et des amours à la dérive : lune blafarde, neige et hiver, ruisseau-tombeau, forêts blêmes, jeunes filles qui trahissent, sommeil et mort.
L’inspiration de Schubert est une errance dans ces mots qui le touchaient plus profond que les larmes, aussi le thème de la mort consolatrice était constant chez lui. Il pleuvait de la mort partout dans sa vie, et entre les deuils et ses œuvres mort-nées, Schubert s’était fait une philosophie douce et résignée sur le monde. D’autant plus que l’époque elle-même mélodramatique et morbide, était très portée sur la présence de la mort et son apprivoisement par la consolation. Le Quatuor à cordes en ré mineur a été achevé en mars 1824, en même temps que le Quatuor n° 13 en la mineur Rosamunde et que l’Octuor. Ces quatuors ont été portés ensemble après une grande période de doute et de stérilité.
Pianiste, mais aussi altiste Schubert aimait faire de la musique ensemble. La musique de chambre sera sa demeure. Schubert très tôt fit des quatuors, au moins cinq en 1813. Puis deux autres en 1814 et dans les années 1815-1816. Mais pendant plus de huit ans, de 1816 à 1824, il ne composera aucun quatuor. Il était ailleurs, immergé dans le foisonnement des lieder qui jaillissaient de lui sans retenue. Des projets avortés d’opéra lui prenaient aussi du temps.
Le retour à cette forme noble et austère qu’est le quatuor à cordes advint par le rappel à la fragilité de l’existence qui le frappa en 1824. À peine remis d’une très grave maladie vénérienne, comme par une promesse intérieure il se remit à la forme du quatuor, mais aussi à l’écriture de danses et de variations. Comme si la vie revenait.
Il voulait aussi aller vers des formes « supérieures », la symphonie : « J’ai composé deux quatuors… et je veux encore écrire car c’est seulement de cette façon que je pourrai me frayer un chemin vers la grande symphonie ». Mais ces quatuors presque jumeaux, Rosamunde et La Jeune fille et la Mort, sont encore du chant, du dépassement du chant. Ce quatuor n°14 ne sera exécuté en privé que deux ans plus tard, en 1826, et ne pourra jamais être publié du vivant de Schubert. La tonalité d’ensemble de ce quatuor est bâtie sur celle du lied « der Tod und das Mädchen » composé en février 1817, dont voici le texte de Matthias Claudius :
Va-t’en – Ah va-t’en loin de moi squelette cruel je suis encore jeune, laisse-moi ne me touches pas, chère mort. Donne-moi ta main, toi belle et tendre Je viens en ami non pour te punir Sois courageuse, je ne suis pas cruelle Tu dormiras apaisée dans mes bras.
Dimanche
16 FÉV 2020
17 h 00 – 19 h 00
Salle de musique / avenue Léopold-Robert 27, La Chaux-de-Fond
Trio Wanderer
& Pascal Moraguès, clarinette
Vincent Coq, piano
Jean-Marc Phillips-Varjabédian, violon
Raphaël Pidoux, violoncelle
Pascal Moraguès, clarinette
Beethoven
Trio op. 11 pour clarinette, violoncelle et piano
Beethoven
« Trio des Esprits » pour violon, violoncelle et piano
Bartok
Contrastes, pour clarinette, violon et piano
Hindemith
Quatuor pour clarinette, violon, violoncelle et piano
Il y a 250 ans, en décembre 1770, naissait Ludwig van Beethoven. Sa musique allait toucher le coeur des humains. La postérité lui a donné une dimension universelle.
La première partie du concert rend hommage à la grandeur du musicien, de l’homme, non pas au sens égocentrique du terme, mais dans ce qu’il peut contenir d’universalité, d’humanité, de cœur, d’esprit et de paix.
Samedi
15 FÉV 2020
14h30 à 20h (accueil à 14h20)
Salle de musique / avenue Léopold-Robert 27, La Chaux-de-Fonds
Cours public d’interprétation par Pascal Moraguès aux élèves de clarinettes du Conservatoire de musique neuchâtelois-CMNE
jeudi
30 JAN 2020
19 h 30 – 21 h 30
Salle de musique / avenue Léopold-Robert 27, La Chaux-de-Fonds
Les Arts Florissants
William Christie, direction musicale et clavecin
Emmanuelle de Negri, soprano
Thomas Dolié, baryton
Instrumentistes des Arts Florissants :
Violons : Emmanuel Resche, Théotime Langlois de Swarte
Viole de gambe : Juliette Guignard
Flûte traversière : Serge Saitta
Théorbe : Clément Latour
Emmanuel Resche-Caserta joue sur un violon de Francesco Ruggeri prêté par la Fondation Jumpstart Jr (Amsterdam)
Les Arts Florissants redonnent vie à l’une des plus brillants salons du Grand Siècle, un Salon constitué d’artistes et d’intellectuels rassemblés par l’une des femmes les plus puissante de son temps, la Duchesse du Maine dans son Château de Sceaux. Voltaire, D’Alembert, Montesquieu ou Marivaux étaient tous des visiteurs réguliers, ainsi que des compositeurs bien connus de l’époque, comme Clérambault, Bernier et Mouret ; tous ont écrit de nombreuses œuvres qui lui étaient dédiées ou qui s’inspiraient d’elle. Et comme la Duchesse était insomniaque, les soirées étaient longues…
« Le Salon de la Duchesse »
sélection de Cantates séculaires
Nicolas Bernier (1664-1734)
Duo extrait de la Cantate « Europe et Jupiter »
(Cantates, Livre IV, 1739)
Jean-Joseph Mouret (1682-1738)
Premier concert, extraits :
Ouverture – Venissienne – Air – Rondeau – Sarabande – Tambourins I et II
(Concert de chambre pour les violons, flûtes, et hautbois (…), s.d.)
Louis-Nicolas Clérambault (1676-1749)
L’Amour piqué par une abeille
(Cantates, Livre I, 1710)
Jean-Joseph Mouret
Prens la pinte Claudeine
Du Dieu du vin quand tu chantes la gloire
Buvons Enyvrons nous tous deux
(III° Livre d’airs sérieux et à boire, 1727)
Nicolas Bernier
L’Amour vainqueur
(Cantates, Livre VI, s.d.)
Jean-Joseph Mouret
Premier concert, extraits :
Chaconne (coupure de mesure 89 à mesure. 124)
(Concert de chambre pour les violons, flûtes, et hautbois (…), s.d.)
Nicolas Bernier
Diane et Endimion
(
Cantates, Livre II, s.d.)
18 h 15 – 18 h 45 : avant-concert
Conservatoire de musique neuchâtelois, Salle Faller, La Chaux-de-Fonds
Elèves du Collège musical de la Ville de La Chaux-de-Fonds
Entrée libre
Jana Willi et Malika Naula, flûtes à bec, classe de Danièle Golan.
Avec la collaboration de Miriam Lubin clavecin et Marion Bélisle violoncelle
Marin Marais (1656-1728) de la Suite en mi mineur pour pour deux dessus et continuo : Prélude lentement – Fantaisie – Gavotte – Rondeau – Sarabande en rondeau – Menuet – Caprice lentement – Passacaille
Jacques Martin Hotteterre le Romain (1674-1763) Sonate en trio pour flûtes à bec et basse continue op 3 n°4 en sol mineur : Gravement – Fugue gay – Grave – Gigue
Sources :
Concert 1 – Les Arts Florissant
Concert 2 – Beethoven, opus 11 et 70 : notes rédigées par Richard Wigmore © 2004 / Bartok : Clédesol, cldesol.blogspot.com / Hindemith : francemusique.fr
Concert 3 – Céline Hänni, Centre de culture ABC
Concert 4– Schubert : espritsnomades.net / Webern : wikipedia et amazon
Concert 5 – Ravel : musicologie.org / Enesco : wikipedia / Ysaÿe : arion-music.com / Prokofiev : hypérion-records.co.uk